Le ministère de l’Éducation nationale, en partenariat avec les conseils départementaux et les rectorats volontaires, souhaite lancer dès la rentrée 2017 une nouvelle expérimentation dans l’objectif affiché d’améliorer la mixité sociale dans les collèges.
En Haute-Garonne, ce projet a été présenté notamment dans les collèges REP+, par le biais d’une agence de communication (!) : il s’agit de mettre en place des binômes ou trinômes de collèges, alliant un collège « favorisé » et un collège « défavorisé ». L’idée est de permettre aux familles sectorisées sur les collèges défavorisés de demander l’affectation sur le collège de leur choix parmi ces deux (ou trois) collèges, où leur enfant pourrait être affecté dès l’entrée en 6ème, « dans la limite des places disponibles » des établissements d’accueil. Rien de plus concret pour l’instant…
Nous défendons, à la CGT Educ’action, des valeurs d’égalité et de justice sociales sur tout le territoire. Nous poursuivons l’idée que l’État, à différents niveaux, doit permettre l’accès de toutes et tous aux mêmes droits, à la même éducation, aux mêmes opportunités. C’est pourquoi nous sommes très critiques vis-à-vis de ce projet du Conseil Départemental :
- On ne s’attaque pas frontalement à la question des dérogations : quel engagement du rectorat concernant cette question, alors qu’à Toulouse, 52 % seulement des élèves sont scolarisés dans leur collège de secteur ?
- Sous couvert de mixité sociale, le Conseil Départemental envisage la fermeture du collège Raymond Badiou (dans le quartier de la Reynerie). Nous luttons contre la fermeture des services publics de proximité dans les quartiers populaires comme partout en France ; cette fermeture de collège annonce un véritable désengagement de l’État dans un quartier qui au contraire a besoin de moyens afin que les habitant-es du quartier aient accès aux mêmes services, aux mêmes droits que partout ailleurs. De plus, la présence d’un collège dans les quartiers facilite l’implication des parents d’élèves dans la scolarité de leur enfant et au collège.
- On court le risque, avec ce projet, que ce soit les parents d’élèves les plus impliqués et disponibles pour la scolarité de leur enfant qui l’envoient dans le collège favorisé. Cela revient ni plus ni moins à valider le système de dérogations ! Ainsi qu’au départ des meilleurs élèves des collèges REP+.
- Les établissements accueillant une majorité d’élèves issus de milieux populaires sont spécialistes en « expérimentation » : ne pourrait-on pas prendre en compte l’avis des parents, des personnels concernés, avant même de proposer un semblant de solution ? Combien de parents ont été sollicités, combien de réunions publiques dans les quartiers ont été réalisées ? Il s’agit de demander à des enfants de 11 ans d’aller étudier loin de chez eux, de se lever tôt, et aux parents une organisation plus compliquée du fait de l’éloignement collège-domicile.
- Les différentes institutions impliquées se basent sur un constat qui met en avant, comme le dit la vice-présidente du Conseil Départemental, « la montée des extrémismes et (…) [des] phénomènes de radicalisation » : une fois encore, il s’agit d’une stigmatisation évidente, récurrente et qui perdure, des élèves issu-e-s d’une immigration plus ou moins lointaine.
- Quel message envoie-t-on aux habitant-es des quartiers concernés, et aux enfants qui y sont nés ? Que dans leur quartier, on peut naître, on peut grandir, mais qu’on ne peut pas y apprendre. Que pour bien apprendre, il faut aller ailleurs ; un message dur et méprisant envers les classes populaires habitant ces quartiers.
- On évoque également la mixité sociale qui viserait à apaiser les tensions sociales. Pourquoi les élèves issus des milieux défavorisés en seraient-ils les responsables ? Aujourd’hui, ceux qui cultivent l’entre soi sont surtout les milieux favorisés qui ne souhaitent pas mêler leurs enfants aux classes populaires du pays, par le recours au privé, par les demandes de dérogations, par les contournements de carte scolaire.
- On en parle, du privé sous contrat qui accueille, « grâce » à sa sélection à l’entrée au collège, des élèves issu-es en grande partie de milieux favorisés ? Ces collèges, qui bénéficient des financements publics, n’auront pas d’obligation quant à la sélection des élèves à l’entrée dans les établissements, et ne participeraient pas à ce nouveau projet de mixité sociale. On est courageux envers les classes populaires, mais moins envers les classes aisées.
- Il s’agit d’un désengagement évident de l’État dans les collèges du dispositif d’éducation prioritaire, qui perdent des moyens (humains et financiers) année après année, et qui en perdraient encore en voyant leurs effectifs baisser. Aucun engagement dans le sens contraire n’est pour l’instant évoqué.
Concernant la mise en place de ce dispositif (prévue dès la rentrée 2017), de nombreuses questions primordiales restent sans réponse :
- Que se passerait-il dans les établissements d’accueil ? Un accompagnement serait-il mis en place ? Dans quelle mesure, avec quels moyens, à quelles fins ?
- Combien d’élèves pourraient changer de collège d’affectation par rapport à la situation actuelle ? Sur quels critères seraient-ils-elles choisi-es ?
- Quels moyens de transports sont envisagés pour le déplacement des enfants d’un bout à l’autre de la ville ?
- Que va-t-il advenir des élèves qui restent dans les établissements en éducation prioritaire ? Quelle garantie de moyens pour eux pour leur permettre de réussir au mieux leur scolarité ?
Il ne s’agit pas, pour la Cgt Educ’action, et plus largement à la Cgt, de défendre un statu quo. Nous nous interrogeons sur le rôle qu’on veut donner à l’École sur la mixité sociale. Nous ne pensons pas que la question de la mixité sociale sera résolue par l’École. Par contre nous dénonçons le désengagement de l’État dans les quartiers populaires, et ce depuis des décennies, notamment par la fermeture des services publics de proximité, par une stigmatisation des populations vivant dans ces quartiers, surtout celles issues de l’immigration, par un abandon de l’entretien des quartiers qui entraîne une dégradation des logements, des espaces publics,… Nos luttes contre la réforme des rythmes scolaires et la réforme des collèges sont partie prenante de ce combat.
Nous sommes pour un véritable réinvestissement des quartiers populaires de la part de l’État, pour plus de justice et d’égalité sociales sur tout le territoire.
Dans l’Éducation nationale, à Toulouse plus particulièrement, cela passe par :
- l’annulation de la fermeture du collège Raymond Badiou,
- la garantie des moyens nécessaires en postes d’enseignant-e-s et CPE, péri-scolaires (infirmièr-es, médecins scolaires, AED, AS,…), des moyens suffisants pour travailler avec de petits effectifs et pour permettre l’ouverture culturelle et scientifique que leur doit un service public d’éducation nationale, et pour permettre la réussite de tou-tes.
- conditionner le financement public des établissements privés selon le respect de mixité sociale dans l’établissement.
- À terme, la nationalisation des établissements privés sous contrat.
- une baisse des dérogations octroyées par le rectorat qui permettent d’éviter l’affectation dans les collèges du dispositif d’éducation prioritaire qui souffrent d’une fuite des élèves issus des milieux favorisés.