Le conseil d’évaluation de l’Ecole (CEE) a mis en place pour cette année 2020 les premières auto- évaluations d’établissements. Rappelons en premier lieu que ce CEE a vu le jour dans le cadre de la loi Blanquer, en lieu et place d’un CNESCO jugé trop indépendant.
Cette évaluation est prévue en deux temps:
1ère étape : l’auto-évaluation. Celle-ci est effectuée par « l’ensemble des acteurs (équipe de direction, personnels, élèves, parents, autorités de rattachement, partenaires)» et concernera les 4 domaines :
– les apprentissages et les parcours des élèves, l’enseignement ;
– la vie et le bien-être de l’élève et le climat scolaire ;
– les acteurs, la stratégie et le fonctionnement de l’établissement ;
– l’établissement dans son environnement institutionnel et partenarial.
Cette étape sera ensuite suivie d’une évaluation externe, effectuée par « des évaluateurs externes (qui) ne doivent avoir aucun lien personnel avec l’établissement et ils s’engagent à être impartiaux. »
Étalé sur 5 années, ce sont 20% des établissements qui seront concernés par l’évaluation chaque année. Il s’agirait d’améliorer :« -les conditions de réussite collective et individuelle des élèves,-les conditions d’exercice des personnels,-le bien-être de chacun dans les établissements.»
Ce que nous en pensons :
Le vocabulaire utilisé pour vendre cette nouvelle stratégie managériale est alléchant : «partage», «co-construction», «acteurs». La réalité sera évidemment toute autre. Tout d’abord, si l’on regarde de près les questionnaires mis à disposition par les autorités à l’attention des parents et des élèves, ce n’est ni plus ni moins que la transformation des usagers d’un service public en consommateurs d’un produit commercial, puisqu’il est demandé à ces derniers d’évaluer s’ils sont « satisfaits de l’aide qui est proposée à votre (leur) enfant ? » ou encore s’ils pensent que « le collège (est) un lieu d’étude accueillant ? », dans un contexte où les effectifs augmentent et que les moyens, pourtant réclamés par les organisations syndicales et les équipes, manquent cruellement. La même logique s’applique aux élèves à qui l’on demande si les « évaluations passées en classe (leur) sont utiles pour identifier ce (qu’ils n’avaient) pas compris», ou encore s’ils sont « satisfait(s) de l’aide apportée pour (leur) orientation », à l’heure où le service public d’orientation a été saccagé par les ministères successifs, celui de Blanquer compris, et où cette lourde tâche repose sur la volonté de collègues qui ne sont pourtant pas formés pour cela. Il ne s’agit plus de mettre au centre des débats la question des moyens, mais de faire peser la responsabilité de la réussite éducative des élèves sur les enseignant.e.s, dans un cadre de pénurie budgétaire, avec toujours plus d’élèves, toujours plus de missions et de prérogatives, mais des moyens largement insuffisants.
L’auto-évaluation peut-être aussi un outil de déréglementation au nom de l’adaptation au «local». En définitive, le risque est grand de dégrader la situation de la communauté éducative en pointant des difficultés sans rien apporter qui permette d’y faire face, à un moment où les établissements tentent de s’adapter à une situation sanitaire aussi inédite qu’éprouvante, et alors que les collègues tentent de compenser les errements d’un ministère qui délaisse et maltraite ses personnels et ses élèves. On impose ainsi à l’école la « culture de la performance» et on tient pour seuls responsables les travailleurs et travailleuses de l’éducation, en substituant à la question des moyens nécessaires la logique des résultats comptables et immédiats.
Livret de compétences pour les élèves, PPCR et rendez-vous de carrière pour les personnels d’enseignement, d’orientation et d’éducation, autoévaluation des établissements scolaires : la politique du tout-évaluation sert à insérer la logique d’entreprise et la gestion managériale au sein du service public d’éducation, et d’habituer les subjectivités à une logique de compétition, d’auto-évaluation et de concurrence si chères à la doxa capitaliste et libérale.
La publication des mauvais résultats aux différents évaluations internationales sont une aubaine pour liquider ce qui reste de service public, et pour imposer à marche forcée de l’évaluation à tout-va. Pourtant, loin d’être une simple question de pilotage, de meilleure gestion, ou d’une nécessaire « ouverture et les liens tissés avec son environnement », ce sont bien les inégalités, le manque cruel de moyens et le système qui les produisent qui sont la cause de l’échec scolaire. Les dispositions de cette loi sont les avatars d’une intrusion de plus en plus profonde de la logique économique et utilitariste à l’école, et un des moyens d’entamer un grand bond en avant dans la conquête de l’enseignement par le patronat.
Le maintien de ces mesures d’évaluation sont indécentes, dans un contexte où l’application de la réforme des lycées introduit une désorganisation dans les établissements, dans le déni des réalités de terrain, et où la gestion calamiteuse de la crise sanitaire met en danger élèves comme personnels, et provoque une colère légitime chez un bon nombre de collègues. Nous exigeons leur retrait pur et simple, et appelons les collègues à résister et à les stopper, par tous les moyens qui leur sembleront nécessaires.